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lux umbra
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12 juin 2006

Passages-3 et fin

fopassage1

                        

Alors qu’elle m’entraînait hors de leur portée, je vis dans la pénombre, plusieurs personnes, semblables sur bien des points à ceux dont je partageais la vie : même beauté, même habits recherchés et précieux, mais dans les teintes bleues ou vertes. Cependant ils n’avaient pas l’aspect détaché de Siloa et de ses semblables. Pendant que mon « hôte » m’emmenait loin d’eux d’une poigne ferme, ils me souriaient aimablement. Une belle jeune femme blonde, aussi belle que Siloa, mais sans sa froideur, me fit un signe de la main. Je la trouvais charmante, avec un air enfantin et déluré.

    - Tu ne dois jamais entrer là, me dit Siloa. C'est un autre Sidh qui communique avec le nôtre, comme tous les mondes communiquent entre eux. Ses habitants sont différents de nous. Si tu tombais entre leurs mains, tu subirais les pires sorts qui puissent arriver à un mortel.

     - Ha bon, répondis-je, ne sachant pas ce  que je devais penser de cette déclartation. (le sourire de la fille dans le passage sombre, son geste de la main, restaient gravés dans mon esprit)  Ce sont des être mauvais et vous êtes bons, un peu comme les anges et les démon ?

   - Tu parles avec des catégories humaines. Ils sont différents de nous, c’est tout. Mais c’est moi qui t ‘ai ramené, et je veux poursuivre mes recherches avec toi.

        Au dela de ces considérations "scientifiques", j'avais le fol espoir qu'elle puisse manifester de la jalousie envers la blonde, qu'elle veuille me garder comme amant plutôt que comme cobaye.

         - Ils ont l'air tellement attirants...rajoutais-je!

       - Cet endroit t’attire comme une belle fleur, petit papillon…Mais les fleurs carnivores aussi attirent les insectes et...

       Elle referma sa main d'un geste sec.

      - N'oublie pas que ça a été un jeu d'enfant pour moi de te faire m'emboîter le pas et te capturer...

      - Je suis donc ton prisonnier, une prise de chasse ?

      - J'aurais pu être l'une d'entre eux. Si ton esprit primitif pouvait concevoir ce qui te serait arrivé alors, tu ne te plaindrais pas d'être ici. Je ne crois pas que ce que tu fais avec moi soit désagréable, par contre!

         J’avais au moins provoqué un sentiment chez elle : de l’irritation, si ce n’était de la colère. C’était déjà ça. Cette nuit là j’eus à nouveau l’impression qu’elle agissait en femme jalouse, tant elle m’épuisa de plaisirs. Encore que lorsque je dis qu’elle m’épuisait c’est faux, au contraire, j’étais régénéré après, en partageant un peu de ses pouvoirs. Ce qui était nouveau c’est que plusieurs fois durant cette nuit, nous nous retrouvâmes ailleurs que dans son lit : une fois dans la boue, sous une pluie battante mais chaude, une autre fois dans une plaine herbeuse, un moment je me vis même faire l’amour avec Siloa sur un monument de pierre cyclopéen, face à un ciel où brillaient deux lunes rouges…Et au bout de quelques instant tout disparaissait, comme un rêve, mais ce n’en était pas un pourtant.

            A un moment nous flottions dans le néant et Siloa me chuchota :

          - Souviens-toi : ton monde est une vue de l’esprit, le Sidh aussi…Est-ce que tu le réalises ? Essaie de te diriger, maintenant.

           Accroché à elle, je pensais à mon monde d’origine…Et voilà que nous étions en plein milieu du passage des panoramas, vide heureusement (nous étions nus tous les deux). Je n’en étais pas peu fier, c’était bien moi qui avais provoqué le changement. Puis nous nous retrouvâmes à nouveau dans le lit tendu de rouge. Et je dois bien dire que même si j’avais entraperçu mon univers parisien, je ne regrettais pas d’être à nouveau dans les draps de Siloa

            - Tu maîtrises cette fois ? Tu as compris que c’est toi qui crées la réalité, mais que même ce que tu penses être « toi » est une illusion ?

            Non, je n’avais rien compris de si compliqué, mais je me sentais capable, en effet, de « maîtriser » le passage d’un monde à l’autre comme nous l’avions fait tout au long de la nuit.

            - Le conseil du Sidh, m’expliqua-t-elle, me demande de te tester. C’est le moment de mettre en pratique ce que tu as acquis auprès de moi. L’expérience a cessé d’être agréable. Tu vas devoir t’en sortir tout seul, cette fois.

           Et voila que je me retrouvais, nu comme à ma naissance, en plein milieu d’une épaisse forêt. J’étais dansforet1 l’ombre, tant étaient hauts les arbres qui m’entouraient, et touffus leurs feuillages. Ils laissaient à peine passer un peu de lumière. Je gisais sur un tapis de hautes herbes qui me piquaient et me grattaient mais ce n’était pas ça qui me dérangeait le plus : c’était plutôt les bruits qui me parvenaient, tout près, à droite. Des branches cassées, des herbes froissées, mais surtout des grognements qui se rapprochaient, et que je devinais venir de quelque chose de gros et féroce. Je décidais alors de me relever et de m’éloigner le plus discrètement possible. Pourquoi Siloa m’avait-elle envoyé dans cette forêt ? Pour me « tester » avait –elle dit. Mais en quoi consistait ce test ? Alors que j’enjambais péniblement des buissons qui griffèrent mes jambes, Il surgit de derrière un tronc. Mon Dieu ! J’avais déjà vu des ours dans des zoos, mais c’étaient des peluches à coté de celui-là. Sans doute une variété préhistorique : énorme et noir, il se dirigeait vers moi en brandissant des griffes chacune aussi longue qu’un poignard et, en rugissant, il me montrait une dentition qui aurait put me couper un bras d’un seul coup. De quoi maudire les écologistes qui veulent réintroduire les ours en France ! Il était difficile de courir en plus dans cette forêt : pas de sentier à l’usage des hommes, comme si aucun humain n’y avait encore mis le pied. Mais lorsqu’on à un monstre pareil  en face de soi, on ne s’arrête pas à ce genre de détail ; on fonce, on se blesse sans rien sentir…

            - Cette forêt est une vue de l’esprit, comme ton mode, comme le Sidh…Souviens-toi !

           tete_20d_27ours_204_20_20Tranquillement assise sur une branche, bien au dessus de moi Siloa m’observait. Une vue de l’esprit, c’était vite dit ! Je me sentais bien buter contre la végétation et m’y déchirer plus ou moins la peau, pour échapper à la masse grognante qui s’était lancée à ma poursuite. Son poids impressionnant ne l’empêchait pas de courir souplement et de gagner du terrain sur moi. Bon, j’avais changé de monde, la nuit passée aussi, et j’avais réussi à un moment à me transporter dans le passage des panoramas, je pouvais sûrement recommencer à « zapper » entre les univers ! C’est ce que Siloa attendait de moi…C’était ça, le test ! Mais la nuit précédente je n’étais pas dans une situation d’urgence, et puis elle était près de moi et sa présence avait toujours joué le rôle de catalyseur pour actionner les pouvoirs…Alors que là elle était loin, en train de m’observer courir…Il fallait que je puisse me transporter ailleurs ! Et bien sûr je me pris les pieds dans je ne sais quoi et je tombais. L’ours arrivait. Je songeais un instant que la clé n’était pas dans le changement de monde mais dans le fait qu’aucun d’eux n’était réel…C’était bien d’y penser mais ça ne changeait rien. La masse était au dessus de moi. Les griffes allaient me lacérer. J’étais foutu.

             Elle m’avait livré à la mort.

             Non.

             J’avais échoué l’épreuve.

            - C’était prévisible ! Ton esprit est trop étroit. Tu es incapable d’approcher la réalité.

            J’étais dans la chambre de Siloa, sain et sauf. Elle me regardait comme un primitif qui a eu peur en entendant passer un avion.

          - Je croyais que je devais m’en sortir seul, cette fois. Pourtant tu es intervenue…

            Elle eu un geste d’humeur que je ne lui connaissais pas.

            - Je n’ai pas eu envie de gâcher tout ce matériel d’étude simplement parce qu’on aurait poussé trop loin ses limites !

            Les jours qui suivirent plus aucun habitant du Sidh ne sembla prêter attention à moi…Ils avaient repris leur indifférence du départ. Du moins je le crus jusqu'à ce que de nouvelles personnes se mêlent à nous pendants les repas. Ceux-là, je les reconnaissais facilement à leurs vêtements : ils venaient des passages obscurs, et la blonde était parmi eux. Toujours aussi aimables, ils me proposaient tel ou tel plat, telle ou telle boisson que je n’avais jamais goûté, et que je trouvais plus délicieux encore que le reste…La blonde s’était assise prés de moi et sans façon m’entourait de ses bras. Je jetais un coup d’œil en coin à Siloa : ça n’avait pas l’air de la déranger. Je le regrettais un peu et puis je me laissais aller aux caresses de la blonde vêtue d’une robe en camaïeu de bleus. Bientôt nous flirtions ouvertement et ses baisers chaleureux me faisaient oublier celle qui m’hébergeait. Il se dégageait d’elle un parfum capiteux et, sans être allé encore plus loin avec elle, je savais que la musique qu’elle m’inspirerait serait plus sauvage, plus intense que celle de Siloa , avec qui pourtant j’avais cru atteindre des sommets. Et Siloa finit par intervenir.

            - Finalement, elle vous a fait une scène de jalousie ? Demande le journaliste, cachant mal son ironie.

            Armand continua sans ciller :

         - Un matin elle me dit simplement : « Viens, tu dois partir d’ici » et en fait, tout prisonnier que j’étais, je n’avais plus trop envie de partir. Pour retrouver quoi ? Ma vie de musicien de bar à la petite semaine, mes amours passagères ? Alors que je vivais depuis mon « enlèvement » des expériences inconnues jusqu'alors, tant sur le plan sensoriel avec ma perception qui s’était exaltée, que sur le plan sexuel : mes nuits avec Siloa, et, bientôt, celles avec la blonde de l’autre Sidh, puisque ça n’avait pas l’air de poser de problèmes. Je protestais donc :

            - Pourquoi tu veux me chasser ? A cause de l’autre fille ?

            - Tu es vraiment stupide ! A cause de l’autre fille, oui, ou plutôt à cause de ce qui va t’arriver avec elle. Comme tu as échoué au test qu’on m’a demandé de te faire passer, le conseil ne trouve plus d’intérêt à ta présence ici et des accords sont passés avec l’autre Sidh pour qu’ils te prennent avec eux.

            - Mais…contre quoi ? De l’argent ?

          - Nous n’utilisons pas d’argent, les conditions de l’offre n’ont aucun intérêt pour toi mais les expériences auxquelles ils se livreront sur toi n’ont rien à voir à nos échanges fluidiques, crois-moi, il vaux mieux que tu ne saches même pas de quoi il s’agit…Je vais te ramener chez toi

            Je ne savais plus que croire, que penser :

          - Je croyais que je n’étais qu’une sorte d’animal de laboratoire, très primaire, sans autre intérêt que ce que tu pourrais en tirer…Pourquoi cette sollicitude maintenant ?

           - En faisant l’amour avec moi as approché ma nature et j’ai approché la tienne…Je comprends mieux ton attachement à moi, et le besoin de réciproque. Je ne veux pas qu’ils te prennent…

           Pour la première fois elle avait parlé de « faire l’amour » et plus « d’échanges fluidiques ». Elle m’entraîna à travers le Sidh, en prenant plusieurs fois  des traverses à droite…Et nous débouchâmes dans le passage Jouffroy cette fois, à coté du musée Grévin. Sa robe était redevenue blanche. Elle colla sa bouche à la mienne et disparut très vite hors de ma vue…

            - Combien de temps étiez-vous resté dans…le Sidh ? Demanda la photographe.

            - Le Sidh  se situe hors du temps des hommes. Dans beaucoup de légendes, lorsque les mortels passent dans les mondes surnaturels et en reviennent, des siècles ont passés et  ceux qu’ils ont connus sont morts depuis longtemps…J’ai eu plus de chance, dans mon cas ça a été l’inverse. J’avais vécu plusieurs semaines dans le Sidh, mais une heure seulement s’était écoulée dans notre monde. Le patron du bar me demanda où j’étais parti si vite, en laissant là ma guitare. Je n’avais plus mes perceptions nouvelles, mais j’ai gardé les capacités musicales que Siloa avait éveillées en moi. Peu après je signais mes premiers contrats et vous savez la suite…

            - C’est un témoignage passionnant, dit le journaliste en le quittant. On se doutait que votre musique venait d’un autre monde…

            - Mais vous me croyez, n’est-ce pas ? Demanda Armand. Je sais que j’ai l’air d’un mytho…

          - Dans notre société matérialiste, qui a perdu ses valeurs spirituelles, cette histoire est incroyable, bien sûr, répondit la jeune photographe, d’un air gêné. Mais nous croyons qu’il existent d’autres choses que le visible…

            Après le départ du couple, une porte s’ouvrit au fond de la pièce.

            - Au bout d’un moment de mon récit, dit Armand à la personne qui venait d’entrer, j’ai eu l’impression qu’ils se demandaient s’ils devaient rire ou appeler SOS psychiatrie tout de suite…

            La femme s’approcha de lui et lui posa tendrement les mains sur ses épaules.

           - Evidement, tu le savais. Mais tant pis, ils vont se faire un plaisir de raconter tout ça et une nouvelle légende va naître chez les hommes, ça fait si longtemps…Et ta musique les ouvre déjà à d’autre conceptions du monde

            - Et de nouveaux métisses vont naître aussi chez les hommes, répondit- il en touchant le ventre rond de Siloa, à travers sa robe blanche. J’ai toujours du mal à penser que tout ça n’est qu’une vue de l’esprit…

            - La vérité est à plusieurs niveaux, dirons-nous. Les générations futures en connaîtront de nouveaux…

© HB 2007

         

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Commentaires
T
J’ai déjà dit tout le bien que je pensai de cette histoire. J’ai juste oublié de dire merci.<br /> Merci Paladin !
P
En effet, si c'était vrai? Qui sait si je ne raconte pas là une histoire vécue? Sourire...<br /> Merci pour tes mots...<br /> Paladin
S
Ce texte est beau comme une légende qu'on se transmettrais sans fin.... Il me rapelle le livre le "crépuscule des Elfes", un peu...<br /> <br /> le genre de texte où l'on se prend à rêver et l'envie de se dire : et si c'était vrai ?<br /> <br /> Sourire...<br /> <br /> Merci pour ce beau voyage en pays imaginaire<br /> <br /> Eternelle rêveuse je resterai
I
moi, j'ai des mèches alors... rires J'ai beaucoup aimé cette fin. Un vrai beau conte, avec une jolie happy end, un régal. Comme quoi les blondes peuvent encore apprécier ce qu'elles lisent de temps en temps (non mais...)
P
Mais s'il s'était laissé embarquer par la blonde, la fin n'aurait pas été si radieuse!<br /> Il faut se méfier des plantes carnivore, surtout quand elles sont blondes....(Pardon Isa! ;-))
lux umbra
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