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5 février 2012

La chaîne du chat noir

chat_chester

 

 

Chaîne du Chat Noir

De « Monique Caro » moniquecaro@yahoo.fr

Á « Benoît Aurel » benoit.aurel@orange.fr; (Ici quatre autres adresses mail)

 

Même si vos nu’êtes pas superstitieux, lisez ce qui suit et faites-le !

Cette chaîne magique a été lancée en 2003 par un groupe de sorcières blanches américaines, dans le but de répandre des bénédictions sur le monde. Elle doit faire le tour du monde et ne surtout ne pas s’interrompre. Envoyez ce mail à cinq de vos amis et quelque chose de merveilleux et d’inattendu se produira dans votre vie.  Mais celui qui brisera la chaîne attirera le malheur sur lui…

Suivait la traditionnelle énumération : untel à envoyé les mails et a gagné une fortune au loto, tel autre ne l’a pas fait et sa femme l’a quitté, sa maison a brûlé, il est depuis à l’hôpital, etc…

 

            Benoît éclata de rire devant son écran.

            — Tu sais pas la dernière de ta mère ? Voila qu’elle me fait parvenir une chaîne magique à faire suivre, pour qu’il m’arrive des bonnes choses et, sous peine de catastrophes si je le fais pas ! Alors, là, la Monique ! Elle bat des records !

            — Ho, commence pas avec ma mère, répondit Léa en levant les yeux de son livre. Elle a ses petites lubies, c’est tout !

            — Oui ! Vouloir nous lire les tarots, te conseiller les pierres au pouvoir bénéfique que tu dois porter, nous dire même comment on doit arranger la maison selon le feng shui, et le lit orienté Nord-Sud, et tutti quanti, et pourquoi pas quelle position du Kamasoutra on doit adopter au lit, non, tant qu’elle y est ?

            — Rooo ! Tu sais bien, elle s’intéressait déjà avant à tout ça, mais depuis que Papa l’a quittée elle s’est complètement réfugiée là-dedans, ça l’aide, tant mieux pour elle !

            — Elle aurait mieux fait de se trouver un nouveau mari plutôt que de venir s’incruster chez nous à toute occasion, à te traiter comme un gamine alors que tu as trente ans « Et fais-ci, fais-ça, ma petite… »

            — On a toujours été très proches l’une de l’autre, qu’est-ce que tu veux ! Moi aussi j’ai besoin de la voir, et d’ailleurs elle vient dimanche, alors essaie de faire un effort avec elle pour l’occasion !

            Ce dont Benoît ne parlait pas, mais qui l’horripilait encore plus, était la manière de Monique de lui faire des réflexions du genre « Mais vous commencez à perdre vos cheveux, Benoît ! Regardez, vous en avez plein votre col ! »…Et sans gêne elle ramassait les cheveux sur son col…Ou alors : « Mais vous avez forci, Benoît ! » En lui touchant le ventre. Ce genre de familiarités le faisait bouillir intérieurement et il ne pouvait pas se retenir longtemps avant de lancer une pique à sa belle-mère.

            Ce dimanche-là, il attendit quand même la fin du repas, au moment où Léa servait le café, pour attaquer :

            — Dites-moi, Monique, vous êtes une femme instruite et cultivée…

            — Voila qui est agréable à entendre ! Répondit Monique. Je devine qu’il y a une suite…

            — En effet ! Je ne partage pas vos croyances sur l’astrologie, le tarot, le pouvoir des plantes et des minéraux, mais bon, ce sont des convictions qu’on peut avoir…Mais me faire parvenir une chaîne magique, là c’est de la superstition pure et simple, ça me semble aller à l’opposé d’une personne comme vous !

            — Si vous voulez, mais j’ai une autre vision des choses…Ce genre de chaîne peut avoir une efficacité réelle, à cause du phénomène de l’égrégore…

            — « L’égrégore » expliquez-moi donc ce que c’est !

            — Je vais essayer d’être claire…

            Pour un débile profane comme moi pensa Benoît. Mon Dieu comme elle l’énervait quand elle jouait les grandes initiées !

            — Un égrégore, expliqua Monique en détachant bien ses mots, est une accumulation d’énergie psychique qui nait d’un groupe dont les pensées et les convictions vont dans le même sens. Les religions, comme les partis politiques entre autres, forment des égrégores. Il en vient à avoir une vie autonome et acquiert en quelque sorte une personnalité indépendante alimentée par les individus qui l’ont fait naître et dotée d’une puissance effective. L’égrégore, si vous voulez, est un réservoir d’énergie que l’on peut utiliser, consciemment ou non. Comme si vous créiez un dieu à qui vous donneriez des pouvoirs. Ensuite ce dieu exaucerait vos vœux.

            Benoît préféra éviter le regard désapprobateur de Léa et se tourna vers sa belle-mère, en tachant de garder son sérieux.

            — Mais, quel rapport avec « La chaîne du chat noir » ?

            — Le rapport, c’est que ces chaînes peuvent avoir pour but la création d’un égrégore, chaque personne qui renvoie ce mail y participant. Ainsi ce qui n’est que superstition au départ devient réalité : des personnes prises dans l’égrégore d’une croyance, par exemple que passer sous une échelle porte malheur, vont s’attirer des problèmes s’ils y passent, par le pouvoir de l’égrégore.  C’est pourquoi je vous conseille de faire suivre ce mail, et  surtout de ne  pas l’effacer.

            — Trop tard ! Mais puisque je n’y crois pas, qu’est-ce que je risque ?

            — Que vous y croyiez ou pas, en recevant ce mail vous êtes pris dans le processus, branché sur ce réservoir psychique ! Vous n’avez pas vidé votre corbeille     ? Donc vous pouvez le récupérer et profiter de l’énergie de l’égrégore. Si vous choisissez de briser la chaîne, j’espère pour vous que je me trompe !

            Á peine Monique fut-elle partie que Benoît se précipita sur son ordinateur et cliqua sur « vider la corbeille ». Dans une histoire fantastique, se dit-il, c’est là que je commencerais à avoir des ennuis. Mais nous ne sommes pas dans une histoire.

            Déjà sur ce point là, il se trompait.

            Le lendemain matin, alors qu’il rejoignait  sa voiture pour se rendre au travail, il trouva un gros chat noir nonchalamment allongé sur le capot, qui semblait dormir. Quelquefois, un chat du voisinage pénétrait dans leur jardin et même dans la maison, mais il n’avait jamais vu celui-ci. Avec la lassitude des lundis matins, il se dit que l’animal s’en irait dés que le moteur commencerait à tourner. Mais voila, il lui fut impossible de démarrer. Tandis qu’il levait les yeux, il vit le chat se redresser et l’espace d’un instant, il fut persuadé qu’il avait sourit, comme le Chat de Chester dans Alice aux Pays des Merveilles ! La seconde suivante, plus de chat…Il avait dû sauter du capot et disparaître.

            Benoît avait d’autres préoccupations immédiates que de savoir s’il avait été victime de son imagination. La gare était loin et il devait aller travailler. Il eut toutes les peines du monde à obtenir un taxi, qui se trouva pris dans les embouteillages…Il arriva enfin au bureau, avec trois quarts d’heure de retard. Il avait raté son premier rendez-vous, pour un contrat important.

            — Ne t’en fais pas, vieux, je t’ai remplacé au pied levé ! Lui annonça son collègue Lebron, avec un sourire qui dévoilait ses dents longues de jeune commercial. En effet, Lebron avait décroché le contrat à sa place. Voila une semaine qui commençait fort ! Malheureusement elle ne faisait que commencer…

            Le lendemain, le garagiste téléphona : il avait examiné de fond en comble la voiture sans trouver de problème, elle tournait d’ailleurs parfaitement bien. Effectivement, elle démarra au premier tour de clé quand Benoît vint la chercher après avoir payé une note  salée pour la main d’œuvre

            — J’en ai profité pour faire la vidange, et puis j’ai changé vos pneus avant, ils en avaient besoin…

            Ben voyons ! Benoît prit la direction de son pavillon de banlieue, en maugréant intérieurement contre ces voleurs de garagistes et la qualité de ces voitures françaises (Et en plus on nous demande d’acheter français !) et ce salaud de Lebron qui était prêt à tout pour se faire bien voir, et cette entreprise où on ne reconnaissait pas ses qualités et il se félicitait que Léa et lui n’aient pas d’enfant dans une société pareille et d’ailleurs il le lui dirait à Léa quand elle recommencerait à parler de ça parce que…       

            …Un chat surgit en travers de la route. Un chat noir, tout comme celui de la veille. Benoît pila, son moteur cala et il eut à nouveau l’impression que le chat souriait, pendant que lui tentait de redémarrer, en vain…Il ne lui restait plus qu’à appeler à nouveau une dépanneuse et il se jura qu’il écraserait sans état d’âme le prochain matou pelé qui se hasarderait à lui couper le chemin. Puis il pensa au mail de Monique « Chaîne DU CHAT NOIR » non, c’était idiot…Et ses histoires d’égrégore aussi.

            Une fois de plus, le garagiste fut incapable de détecter ce qui n’allait pas dans cette voiture. En tout cas, avec ces pannes imprévisibles, on ne pouvait s’y fier. Léa proposa alors à son mari de prendre sa voiture à elle, sa mère s’était proposée de venir la chercher pour l’amener au travail.

            — C’est ça, s’emporta Benoît, on va dépendre d’elle ! On va trouver une autre solution…

            — Oui, je peux continuer à prendre ma voiture, et Maman t’emmènera, toi…Répondit-elle en souriant…

            — Je préférais encore me taper tout le trajet à pied ! Il n’est pas question qu’on dépende d’elle, tu m’entends, PAS QUESTION !

            Comme il sortait, furieux, dans le jardin, quelque chose s’accrocha dans ses jambes. Toujours ce chat noir, qui lui fit un grand sourire, cette fois il en était sûr ! Il se retrouva par terre, avec une douleur violente à la cheville. Léa n’avait, elle, pas vu le chat, et le médecin constata une entorse assez sévère et prescrivit trois jours de repos complet.

            Repos complet ! Cela signifiait que pendant trois jours Lebron et d’autres du même genre allaient en profiter pour signer les contrats à sa place, se faire bien voir du patron et lui passer devant pour une promotion…Quelle poisse ! Celui qui brisera la chaîne attirera le malheur sur lui…Et ce chat noir qui souriait…Non, quand même, lui, Benoît Aurel, homme encore jeune et moderne, commercial expérimenté, rationaliste qui ne croyait ni en Dieu ni au diable,  n’allait quand même pas se mettre à devenir superstitieux !

            Comme pour en rajouter dans la malchance, Léa lui annonça qu’elle ne pouvait manquer son travail pour s’occuper de lui pendant son repos forcé, et que ça lui plaise ou non ce serait sa mère qui viendrait à la maison.

            — Elle s’est spontanément proposée pour nous aider !

            Bien sûr, cette chère Monique, une occasion comme celle- là de venir s’installer chez eux et se mêler de tout, elle ne pouvait pas la laisser passer!

            Lorsque, le matin suivant, Monique entra dans la maison, Benoît se sentit partagé entre l’envie de l’ignorer en se renfermant dans le silence et celle d’attendre une aide d’une autre nature que matérielle.

            — Je sais que vous ne me portez pas dans votre cœur, dit-elle, mais vous avez tort ! Je n’ai jamais voulu troubler votre relation avec ma fille, je cherche juste à tenir une place de mère, et de belle-mère, bref, pouvoir vous apporter mon soutien …On dirait que vous avez eu pas mal d’ennuis depuis que vous avez interrompu la chaîne…Ça ne remet pas en question vos certitudes ? Je ne suis peut-être pas une vieille cinglée avec mes histoires d’égrégore, non ?

            — Hé alors ? marmonna-t-il. Ça arrive, non, plusieurs galères en même temps… Ça s’appelle des coïncidences !

            Coïncidences…C’était une explication rationnelle mais ce chat noir qui se trouvait là à chaque fois ? Il était bien obligé d’admettre que cette femme abhorrée n’avait pas tort. Il était ébranlé dans ses conceptions. Aussi n'eut-il qu'un un soupir vaguement méprisant quand elle sortit son jeu de tarot, pour « interroger les cartes sur la situation ».

 

 

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            — Je vais procéder à un tirage en croix, qui donne des réponses claires et rapides.

            Elle fit battre et couper les cartes à Benoît. Puis elle retourna celle au dessus du paquet qu’elle posa sur la table. Elle représentait une femme assise, coiffée d’une tiare papale, un livre ouvert sur les genoux.

            — La première carte représente les circonstances favorables. Tiens ! La Papesse ! C’est une carte qui indique le bon conseil, quelqu’un de confiance, un résultat positif après maturation. Tout à l’opposé d’un comportement emporté et immature…

            Elle le transperça du regard :

            — C’est un arcane très féminin…Et maternel !

            Comme il avait décidé de la laisser aller jusqu’au bout, il se fit violence pour ne pas relever.

            — La deuxième carte, ce sont les circonstances défavorables…Le Mat ! Il représente une attitude irréfléchie, qui n’a aucun repère sérieux. Qui a perdu son chemin. Vous me comprenez ? Votre attitude en refusant de m’écouter et en effaçant ce mail.

            Maintenant la troisième, qui est la situation actuelle, l’ambiance générale…Le diable ! Voila qui est très clair…Vous voyez les deux diablotins attachés à ses pieds ? C’est une force qui vous enchaîne, dont vous êtes le jouet…Voila l’égrégore ! Dans ce qu’il a de plus négatif…Depuis que vous avez brisé la chaîne positive des énergies qu’il pouvait vous amener, vous êtes lié à la malchance !

            — Charmant ! Et qu’est-ce je deviens, moi, alors ? Je présume que c’est vous la Papesse…Ça vous va comme un gant, vous qui êtes si « pontifiante » !

            — Vous aussi vous êtes charmant ! En effet, je crois que je suis la Papesse, et voici la quatrième carte, le résultat : L’Amoureux ! Un homme qui hésite entre deux femmes. Vous avez un choix à faire. Et maintenant, pour obtenir la dernière carte qui vous donne un conseil,  je fais la somme des numéros de ces arcanes : La Papesse, 2. Le Mat, 0, le Diable, 15, l’Amoureux, 6. 2+0+15+6=23. Comme il n’a que 22 arcanes majeurs on additionne 2+3=5, Le Pape !

            — Comme vous êtes la Papesse, je présume que ça veut dire que vous allez vous remarier ?

— Est-ce que vous voulez bien cesser cinq minutes de faire l’idiot et de me considérer comme une mégère ? Le conseil du Pape c’est : « Elevez-vous vers le spirituel, ayez confiance dans le forces de l’Esprit »

Vous voyez Benoît, j’ai continué la chaîne du chat noir et vous l’avez interrompue. Vous en subissez les conséquences, et moi je dois en tirer une grâce. Pour quelqu’un de matérialiste, ce serait gagner de l’argent ou avoir une promotion…Moi qui suis dans une quête spirituelle, oui vous pouvez sourire, ça ne change rien, j’ai sans doute eu un avantage de cet ordre là.

— Monique, moi j’ai une cheville enflée…Comment sont les vôtres ?

Elle continua, imperturbable :

 — Je crois comprendre, d’après ce tirage, que la grâce que j’ai reçue est de contrebalancer votre malchance. Voila le choix de l’amoureux : acceptez-moi chez vous plus souvent et écoutez mes conseils, vous serez libéré de votre malédiction.

Cette fois, s’en était trop ! Il frappa la table du plat de la main.

— C’était bien essayé, mais c’est raté ! Vous avez tenté de profiter du fait que je sois dans une mauvaise période pour me manipuler…Vos cartes, vous pouvez toujours leur faire dire ce que vous voulez, d’autant plus que je ne connais rien à ce genre de conneries, tout ça pour vous imposer chez moi comme ma bienfaitrice, l’ange qui va chasser le mauvais sort ! Non mais j’hallucine ! Allez hop, retournez chez vous, je me débrouillerai bien tout seul, il vaut mieux avoir une entorse à la cheville qu’un boulet au pied !

Monique se saisit de son sac et quitta la maison, non sans avoir lancé :

— Très bien, je vous laisse mais je ne vous donne pas longtemps pour vous rendre compte de votre erreur ! Vous savez où me trouver…

C’est ça oui ! Si j’ai besoin je vous sonnerai…Bon vent ! Et dire qu’avec cette série d’ennuis j’en étais presque arrivé à la croire avec son égrétruc qui fait que les superstitions deviennent des réalités !

Soudain il se sentait bien, libre. En plus il avait trois jours de repos légitime, il pouvait se reposer, regarder la télé…Qu’est-ce qu’il y avait à la télé à cette heure ci ?

Il appuya sur le bouton « on » de la télécommande. Rien ne se passa. Il dirigea la zapette plus franchement dans la direction du poste. Rien. Mince alors ! Pourtant les piles n’étaient pas si vieilles que ça. Il vérifia si elles n’avaient pas bougées. Non.

Et voila qu’il passa devant le téléviseur mutique.

Le chat noir. Encore lui. Et il souriait.

— Saleté de bestiole !

Il se précipita sur lui, sans réfléchir à l’état de sa cheville. Á peine avait il fait un pas qu’il cria de douleur et chuta, voulu se rattraper à la télévision qui tomba avec lui. L’écran se brisa. Son écran LCD 52 pouces, qui n’était plus sous garantie depuis deux mois !

Une sorte de caricature de rire, comme celui du joker dans « Batman » lui fit tourner la tête : c’était bien le chat, assis au sommet d’un fauteuil, qui ne se contentait plus de sourire. Il riait aux éclats ! Benoît avait encore la télécommande, désormais inutile, à la main. Il la lança de toutes ses forces en direction de l’animal diabolique. Mais il n’y avait déjà plus de chat et le projectile alla fracasser une vitre de la porte-fenêtre.

Agissant cette fois très précautionneusement, Benoît prit le téléphone. Un chat-fantôme qui souriait, riait et lui portait la poisse…Il ne pouvait appeler qu’un psychiatre, ou alors…

  — Allo…Heu…Monique ?

 

« Remettre en question vos certitudes », lui avait-elle dit. Et il était bien forcé d’admettre que ça lui réussissait. Depuis qu’il avait ouvert la maison à sa belle-mère, sa malchance s’était évanouie et le chat noir ne s’était plus manifesté. Il avait repris le travail où, contrairement à ce qu’il craignait, personne, pas même l’ignoble Lebron, n’avait profité de son arrêt pour lui rafler les contrats. Et même, depuis son retour, il était plus performant, le patron semblait l’apprécier davantage.  Monique, à chacune de ses visites, lui parlait du Cosmos où tout est dans tout, des correspondances ésotériques entre les planètes, les minéraux, les végétaux. Il ne se moquait plus quand elle lui expliquait le tarot ou le Yi-King et il s’était même engagé à s’essayer à une demi-heure de méditation le soir (Bien que pour le moment il préfèrait quand même regarder leur nouvelle télévision, acquise à un prix très raisonnable). Monique lui ouvrait des horizons qu’il regrettait d’avoir négligés jusque là.

La seule contrepartie était que, depuis qu’il connaissait le phénomène de l’égrégore, il était en quelque sorte devenu superstitieux. Il évitait de passer sous les échelles, d’ouvrir un parapluie à l’intérieur, de poser le pain à l’envers… Bon, tout ça c’est idiot bien sûr, en soi ça n’a aucune importance mais depuis le temps que des gens y croient, ça a dû créer un puissant égrégore et je risque d’être pris dans son influence ! Il avait désormais un Saint- Christophe aimanté sur son tableau de bord pour éviter les accidents et un trèfle à quatre feuilles dans son porte-carte. Ses collègues l’avaient remarqué et aux repas, lorsqu’ils le voyaient remettre le pain à l’endroit ou décroiser deux couteaux, lui lançaient en ricanant des petites phrases du genre « C’est ta sorcière de belle-mère qui t’a influencé ? ». Il ne répondait pas. Moi aussi je faisais le malin avant, mais j’en ai suffisamment vu ! En attendant, le chat noir a disparu et la chance me sourit désormais !

 

Tout allait pour le mieux jusqu’au jour où Benoît se rendit chez Monique en sortant du travail, pour lui emprunter un outil de jardin. C’était deux semaines environ après leur réconciliation. Il sonna, mais personne ne vint. Constatant que la porte n’était pas fermée à clé, il pénétra dans le pavillon, tenta un « Monique ? » qui resta sans réponse. Il s’avança alors dans le salon tendu de tissus indiens, où régnait l’habituel parfum d’encens. Où était-elle ?

Il s’aventura dans le couloir décoré de mandalas new age et l’appela encore une fois. Peut-être avait-elle eu un malaise. Benoît l’avait mise en garde contre ses habitudes alimentaires « macrobiotiques » qu’il trouvait insuffisamment nutritives. La porte de la chambre était entrouverte. Après y avoir toqué, il entra. Le lit était fait, tendu de vert, avec un piège à rêve pendu au dessus. En face un autel domestique, garni entre autre d’un Bouddha, d’un chapelet, des statuettes d’Isis et d’Osiris, de fleurs coupées, d’une petite pyramide de carton. Mais pas trace de Monique. Benoît, qui n’était jamais entré dans cette pièce, la parcourut des yeux. Sur la table de nuit, à coté d’un cristal de roche, un livre qui avait l’air d’avoir été beaucoup feuilleté: « Techniques de l’influence à distance ».

C’est ta sorcière de belle-mère qui t’a influencé ? 

Brusquement il le saisit, l’ouvrit là où était le signet et lu : « …La photo sert à avoir devant les yeux l’image du sujet à influencer, mais pour qu’un lien astral se crée, il est nécessaire d’y joindre des éléments corporels comme des ongles, des cheveux ou du sang, où au moins des pièces de vêtements ayant été en contact avec le corps… »

Des cheveux… Mais vous commencez à perdre vos cheveux, Benoît ! Regardez, vous en avez plein votre col !

Plus loin un dessin indiquant comment augmenter la force de l’envoûtement, puisque sous le terme « influence à distance » il s’agissait bien de ça. Les éléments étaient placés sous une pyramide de carton, orientée vers les quatre points cardinaux, tout à fait semblable à celle placée sur l’autel. Il la souleva.

Dessous se trouvait un papier plié en quatre, qu’il déballa. Dedans, une petite photo de lui, Benoît ! Et dessus étaient collés quelques cheveux dont il connaissait la provenance. Le papier portait des signes ésotériques et un texte manuscrit:

Moi, MONIQUE CARO, J’invoque les puissances astrales pour créer une forme-pensée que j’attache à la personne de BENOIT AUREL, et je lui donne l’ordre d’agir sur lui afin qu’il m’accepte chez lui comme je le voudrai. Qu’il n’ait de repos que lorsqu’ il m’aura acceptée…Que ma volonté, à moi, MONIQUE CARO s’impose à lui,  BENOIT AUREL, à travers la forme-pensée que je lâche dans l’astral et qui va grandir en force chaque jour, devenir chaque jour plus PUISSANTE, plus VIBRANTE…

La formule continuait, répétant le même souhait plusieurs fois de diverses façons, alliée à des mots et des symboles  incompréhensibles…

— J’étais au fond du jardin…Mais qu’est-ce que vous faites dans ma chambre ?

Monique, qui venait d’entrer, aperçut le papier que tenait son gendre et son expression se figea. Benoît explosa :

— Quand je pense que vous avez failli m’avoir avec vos histoires d’égrégore et votre présence indispensable ! C’est vrai que j’avais tort de ne pas croire à la sorcellerie, puisque c’est ça, votre chemin spirituel ! M’attirer des ennuis à la pelle, en me faisant me fouler une cheville, tout ça pour vous imposer…

— Benoît, écoutez-moi ! J’ai crée une forme-pensée, c’est comme un égrégore individuel, je lui ai donné une mission mais je n’étais pas responsable de ce qu’il provoquait ! Je ne voulais pas vous attirer ces soucis, tout ce que je voulais c’est pouvoir voir ma fille et que vous soyez aussi comme mon fils, même si le procédé était contestable, je…

— Et bien résultat, je ne veux plus vous voir chez nous ! Et voila ce que je fais du support de votre « forme-pensée »

Dans un état de rage et de jubilations mêlées, Benoît sortit son briquet et enflamma le papier et la photo. Mais quelque chose lui sauta sur la main, quelque chose de noir aux formes félines, qui les lui arracha des doigts. La fenêtre s’était ouverte et un brusque courant d’air projeta la feuille sur les rideaux, leur communiquant le feu. Avec une rapidité qui n’était surement pas d’ordre naturel, des flammèches gagnèrent le lit. L’incendie embrasa toute la chambre…

 

 

 

Léa avait tracé le cercle et allumé les bougies. Elle ouvrit le vieux livre relié en cuir noir et récita la formule habituelle :

— Aie Saraye, Aie Saraye, Aie Saraye ! Per Eloym, Archima, Rabur, Bathas super Abrac ruens superviens  Abeor SUPER ABERER Algolos !Algolos! Algolos! Impéro tibi per clavem Salomonis et nomem magnum SEMHAMPHORAS

 

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Algolos apparut à l’extérieur du cercle, sous sa forme préférée de chat noir.

— Parle maîtresse, ton serviteur t’écoute ! dit le chat.

Elle avait trouvé ce livre chez un bouquiniste qui en ignorait l’immense valeur : il livrait de VRAIS secrets occultes, contrairement aux ouvrages que sa mère achetait au rayon « ésotérisme » des librairies. Ensuite, elle n’avait eu qu’à créer un compte mail sous un faux nom et envoyer la chaîne à sa mère.

— Algolos, je pourrai bientôt te libérer de mon service. Tu as bien rempli ta mission.

Le problème avec ces démons familiers, c’est que non seulement ils ignoraient tout des conceptions humaines sur le bien et le mal mais en plus, malgré leurs pouvoirs, ils étaient comme des enfants, à qui on devait expliquer les choses le plus simplement possible. Il était bon de leur répéter les choses régulièrement.

— Mais pour l’instant, continue ton travail : tant que Benoît accepte la présence de ma mère à la maison, tu le laisses tranquille. S’il ne veut à nouveau plus d’elle, recommence à le tourmenter !

— Maîtresse…Jusqu’à quel point je peux le tourmenter ?

— Je t’ai déjà dis : l’entorse c’était le maximum ! Tu dois éviter de lui faire du mal physiquement…

Le chat resta silencieux un instant, en baissant la tête. Elle remarqua qu’il sentait le poil brûlé.

— Maîtresse…Il faut que je vous dise quelque chose…

 

 

 

 

 

 

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