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lux umbra
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12 février 2006

Conte d'hiver-2

                neige

                                                                   IV

                                                         Domaine enchanté

            L’intérieur de la cabane sans fenêtre n’était éclairé que par le feu, devant la porte. Gerda aperçut de nombreuses plantes séchées, accrochées aux murs, des pots en terre et divers objets dont elle ignorait l’usage. Dans un coin, un tas de paille qui devait être la couche de la sorcière.

            - Donne moi donc la pierre à fée, dit la vieille, je vais te dire où est ton compère. Je me souviens bien de lui, et je t’indiquerai le chemin.

            Elle saisit le talisman et le rangea dans une de ses poteries.

            - La pierre à fée a un grand pouvoir. Elle protège du petit peuple et donne ascendant sur lui. Mais elle-même ne veut être liée à personne. Aussi, après avoir servi un possesseur un temps, elle lui échappe. Tu vois aujourd’hui c’est par toi qu’elle me revient ! bien plus tôt que d’habitude, d’ailleurs !

            - Dites-moi où est Kay, je vous en prie…

            La sorcière planta ses yeux dans ceux de sa visiteuse, assise en face d’elle.

            - Il est venu me voir plusieurs fois. On lui avait parlé de celle qu’on appelle la Reine des Neiges, la DameBlanche du cortège de la chasse nocturne. Une créature si belle, dit-on, belle comme le clair de lune, la nuit et les étoiles…Qui la voit est saisi d’une étrange langueur : il ressent la nostalgie d’un autre monde, qui nous fait jeter derrière nous celui-ci. Je lui ai indiqué comment la rencontrer. Et je l’avais prévenu de ce qui adviendrai : il l’a suivie sans résistance.

            - Où l’a-t-elle emmenée ?

            La vieille regarda dehors.

- La neige tombe dru, et ne semble pas se calmer ! Et tu ne pourras pas rentrer avant la fin du jour. Il te faudra rester dormir ici. Demain je te montrerai comment le rejoindre.            

- Non, dit Gerda. Mes parents seront très inquiets s’ils ne me voient pas ce soir !

            - Crois-tu que tu retrouverais ton chemin dans la neige, avant la nuit ? C’est plutôt toi que mon hospitalité inquiète, au point de préférer te perdre et mourir de froid ! Tu crains que je t’embroche et te fasse rôtir comme un goret ?

            Gerda se sentait plus courageuse, sa hardiesse avait payé, tout à l’heure.

            - Comment une chrétienne peut-elle dormir sous le toit  d’une servante de Satan ?

            A nouveau, la sorcière se mit à rire.

            - Satan ? Il n’est point mon seigneur ! Je ne connais personne de semblable en ces bois. Par contre il est autour de nous des puissances qui peuvent être aussi funestes que ce Satan que tu redoutes, ou aussi secourables que les saints que tu pries. Il faut savoir les invoquer, en cela réside mon art.

            - Et La Reine des Neiges, fait-elle partie de ces puissances?

            - Non point, car elle est Reine et la convoquer est bien au dessus de mes pouvoirs. Je ne t’en dirai pas plus sur Elle. Pour l’instant aide-moi à préparer à manger. Rassure-toi, je ne te servirai pas de la chair d’enfants morts sans baptême, mais celle d’un lapin pris dans mes pièges !

            Le repas fut partagé en silence. La sorcière refusait d’aborder à nouveau le sujet de Kay et de l’endroit où il se trouvait : « Demain tu sauras ». La nuit tombait vite en ces temps de Noël et elle indiqua à Gerda un coin de la paillasse pour dormir.

La jeune fille, son manteau sur elle en guise de couverture, ne trouvait pas le sommeil. Les explications de la vieille ne l’avaient que très partiellement rassurée. Elle disait ne pas servir Satan, mais Satan est le père du mensonge, devait-elle la croire ? En tout cas elle avait bien reconnu avoir commerce avec le petit peuple. Kay aussi voulait approcher le petit peuple. Kay ? Elle lui dirait demain où le trouver ?

Soudain, elle entendit la sorcière se lever et sortir dans la nuit. Etait-elle partie au sabbat ? Mais ce n’était pas vendredi. Qu’allait-elle faire dans la nuit glacée, en cet endroit isolé ? Chercher des complices ? Gerda se remit à prier, tout en se demandant si ses prières étaient efficaces en ce lieu, loin de l’église et de la protection des saints de la ville. Mon Dieu ayez pitié de l’âme et du corps de votre créature pécheresse. Des ailes battaient au dessus de la maison. Après un temps indéterminé à trembler, enfouie sous son manteau, elle perçut des bruits de pas dans l’herbe, et quelqu’un entra. Mais c’était  la sorcière qui se recoucha et ne bougea plus. Gerda sombra dans un sommeil noir.

- Lève-toi ! Je vais te conduire à Kay !

            Le Jour était clair et encore plus froid. Gerda se redressa en frissonnant, elle avait du mal à revenir à la réalité, à la lumière…La vieille de la rivière se tenait devant elle, l’air grave. Elle tenait une poterie dans une main et y plongea trois doigts qu’elle ressortit, couverts d’un produit graisseux

         ga111  - Pour nous rendre là-bas, il faut que je t’enduise de cet onguent…

            Elle passa la substance sur les paupières, les poignets  les épaules de Gerda.

            - « Là-bas » ? dit cette dernière. Mais où ? Et…Cet onguent n’est-il pas celui dont se frottent les sorcières pour…Se rendre au sabbat ?

            - Ne parle pas de ce que tu ignores. Viens, maintenant !

            Dehors, le paysage était recouvert d’un blanc scintillant. Le soleil se montrait dans un ciel encore envahi de nuages.

            - Mais où allons-nous ?

            - Où la Reinedes Neige a-t-elle emmenée Kay, d’après toi ? Il est LA !

            Elle indiqua la colline.

- Si je me suis installée ici, c’est que cette colline est une butte-aux-fées.  Toi tu ne vois rien d’autre que des roches, des herbes et des arbres, mais c’est une entrée des royaumes féeriques. Et dans un de ces domaines magiques qu’il vit.

- Mais…

- Plus de questions. Suis mes pas, ne t’en éloigne en aucune façon et ne t’étonne point de ce que tu verras.

La vieille, un long bâton à la main, prit un sentier qui contournait la colline par la droite, en murmurant des paroles incompréhensibles. La jeune la suivait en silence, et se rendit compte au bout d’un court moment qu’elles étaient revenues à leur point de départ. Mais la sorcière continua, reprit le même chemin, marqué par leurs pas dans la neige. Un vent glacé soufflait, et il prit encore plus de force au deuxième tour. Et la circonvolution continua. Le froid sembla alors se calmer, disparaître au quatrième. La tête de Gerda tournait et tourna de plus en plus à mesure qu’elles repassaient dans le sillon boueux formé dans le blanc du sol. Sa vision se brouillait. C’était toujours le même chemin, pourtant maintenant il lui semblait descendre en spirale. Les septième et huitième tours parurent bien plus courts. A la fin du neuvième, elle sentit le sol céder. Elle tombait à l’intérieur du cercle qu’elles avaient tracé en marchant.

Elle se rendit compte qu’elle était affalée sur un tapis d’herbes épaisses. Elle se redressa dans une lumière dorée011 déclinante, semblable à celle d’un crépuscule estival. Autour d’elle, plus de neige, plus de colline. Une clairière s’étendait, remplie de fleurs multicolores. Des arbres aux feuilles de toutes les nuances de vert l’entouraient, mais cet endroit n’avait rien d’une forêt sauvage, il lui rappelait les jardins dont s’entouraient les plus riches bourgeois de la ville, en plus enchanteur. Elle ôta son manteau qui était trop épais dans cet air doux. Au dessus d’elle pas de ciel, une sorte de brume d’où émanait la lumière. Un ru coulait au milieu et en amont, la luminosité se faisait plus intense. Elle s’y dirigea, envoûtée, sans trop savoir pourquoi. Où était la sorcière ? Cet endroit était donc le domaine dont elle lui avait parlé ? En approchant, elle vit entre les arbres une petite cascade qui tombait d’un promontoire rocheux. Devant, un homme se tenait assis sur une pierre, vêtu d’un riche habit rouge et vert. Elle le reconnu alors.

- Kay !

Elle courut vers lui et prit ses mains dans les siennes.

- Je te croyais perdu…

- Moi je savais que tu me rejoindrais…dit Kay. Je t’attendais, ici, en parlant avec mes compagnons…

Il désigna un buisson. Gerda y aperçut alors un petit homme vert qui se confondait avec le végétal. L’être lui adressa un geste de la main et bondit, fila comme un lièvre, avant qu’elle ait pu bien le détailler. Elle poussa un cri.

- Tu sais que j’ai grand peur du petit peuple !

- Il ne faut pas. Ici, il est bien inoffensif…Regarde celui-la !

marq_page_feerie_04_petit2Dans un arbre, à proximité d’eux, elle vit des yeux briller, une bouche s’ouvrir. Le tronc avait la forme d’un corps humain.

- Viens, dit Kay en lui tendant la main. Marchons un peu. Ici il n’y a ni froid ni grosses chaleurs, ni guerre ni maladie. Pas besoin de maison pour s’abriter, l’herbe est plus tendre pour le repos que le lit des grands seigneurs.

- En ville, on te croit emporté en enfer par la chasse sauvage…

- Cet endroit ressemble-t-il à l’enfer ?

- Non ! Plutôt au jardin d’Eden…

La reine des Neiges, raconta-t-il, après l’avoir emmené dans son palais et fait voir des merveilles qu’on ne saurait décrire, lui avait donné le choix de là où il voulait aller, excepté chez les humains où il ne pouvait plus retourner. Il avait demandé de vivre dans un domaine enchanté où Gerda pourrait le rejoindre. Ainsi le petit peuple, selon sa manière d’agir, avait guidé les évènements, par des « hasards », des signes, qui avaient amené son amie jusqu’a lui.

- C’est donc le petit peuple, et non pas Dieu, qui a été mon guide ?

- Peut être que Dieu guidait le petit peuple…

- Nos familles vont être dans le deuil…

- Au diable nos familles, ici est un autre départ…

Main dans la main, ils étaient parvenus à un sous-bois empli de chants d’oiseaux, plus beaux qu’aucun connu dans leur monde d’origine. Kay se fit plus tendre, déposant baisers et caresses sur les cheveux de son amie, l’attirant tout contre lui.

- Dans ce nouvel Eden nous sommes comme Adam et Eve, sois donc mon épouse, murmura-t-il

Gerda était troublée, gênée, elle n’avait jamais sérieusement envisagé cela…Sauf quelquefois, secrètement…elle disait souvent considérer Kay comme un frère, mais, se dit-elle, Adam et Eve étaient en quelque sorte frère et sœur autant qu’époux…Elle se laissa embrasser. Mais le garçon la renversa doucement sur l’herbe et attrapa le bas de son surcot. Elle se débattit.

- Non ! Nous ne sommes pas encore mariés !

Kay se mit à rire.

- Il n’y a ici aucun prêtre pour célébrer nos épousailles ! Dieu bénira lui-même notre union !

- Alors respectons le temps des fiançailles ! Tu ne me prendras pas comme une ribaude !

- Adam et Eve se sont-ils abstenus ?

Il ne la lâchait pas et la regardait d’un air furieux, qu’elle ne lui connaissait pas.

- Désolée de troubler ce doux entretien !

La sorcière s’avançait vers eux, toujours son grand bâton à la main. Elle paraissait plus jeune, plus belle, et était vêtue maintenant d’une robe verte.

- Nous parlions de nos fiançailles, dit Gerda.

- En ce lieu vous élèverez vos enfants, protégés de la douleur du monde, et je serai leur aïeule, dit la sorcière…

- Explique lui donc que les enfants ne naissent point par de belles paroles ! S’écria Kay, plein de colère.

Gerda sentit son cœur se déchirer.

- Kay, penses que ta mère pleure en pensant à toi, en ce moment !

- Que ma mère vive sa vie, et je vivrai la mienne !

La jeune fille éclata en sanglot

- Tu n’es pas Kay ! Sa mère est morte en mettant son frère cadet au monde !

Le corps du garçon se mit alors à se dilater, à grandir jusqu'à dépasser la cime des arbres. Un être monstrueux de plusieurs pieds de haut, avec des yeux de félin mais pas de visage, se tenait à sa place.

                         demon1

- Maudite sorcière ! Vociféra-t-il d’une voix horrible. Tu m’avais promis qu’elle m’ouvrirait ses cuisses ! Que la peste emporte la race des humains !

- Aldamus ! Cria la sorcière en levant son bâton. Par ton nom je te lie et par mon bâton de pouvoir je te chasse !

La créature disparut, mais la lumière dorée était devenue pénombre. Les arbres s‘agitaient et l’air était rempli de murmures menaçants.

- Je crois qu’il nous faut partir, dit la sorcière.

Elle frappa son bâton sur le sol et la nuit se fit autour d’elles.

Le froid saisit Gerda. Elle était dans la neige, devant la cabane de la sorcière. Elle s’empressa de remettre le manteau qu’elle avait sur les bras. La vieille femme se tenait là, à nouveau en peaux de bêtes

- Tout n’était que diableries ! Pleura Gerda. J’ai donné foi à vos propos et vous avez voulu me livrer à ce démon…

- J’ai voulu te garder prés de moi, en te construisant un monde de menteries,  mais où tu aurais pu être heureuse. J’aurais eu une fille à visiter tous les jours, plutôt que ma solitude. Quand à Aldamus, ce n’est point un démon, mais un esprit familier que je croyais capable de plus de maîtrise.

- Vous ne savez donc pas où est Kay…

- Mon enfant, il vaudrait mieux que tu le laisses suivre son destin. Mais si tu veux suivre ta quête, je t’équiperai pour, car le remord me ronge. Je ne peux faire plus, et sache que tu vas vers de grands périls. Mais au fond mourir dans sa quête n’est-il pas préférable au renoncement ?

(A suivre...)

            

            

            

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Commentaires
T
Je vais essayer de le faire sans bégayer et à jeun… Bon cette longue nouvelle d’hivers me plait beaucoup. Moi qui déteste cette saison (de merde), voila de quoi me faire passer agréablement le temps. Et puis, cher Paladin, si par le plus grand des hasards, tu ne finis pas pour le printemps, je ne t’en voudrais pas, en fait.
V
On a ouvert le blog Louve et moi...Demain ça commence...Merci de m'encourager, et gros bisoux à toi et à ta Fleur.
P
D'autant plus que j'adore les récit arthuriens!<br /> J'attends ça avec impatiente!<br /> Bisous!
V
par ton récit...J'adore. Je me souviens bien du conte d'Anderssen et c'ets un vrai palisir de le lire ainsi revisité par ce talent qui ets le tien. Il est eput-être temps que j'ouvre avec ma Louve le blog de nos récits arthuriens. A vrai dire nous hésitons encore, mais la beauté de ce récit m'encourage à oser...Enfin je verrais...Bises toi.
I
Ecriture toujours aussi plaisante, et un suspens... C'est excellent Paladin, vraiment !
lux umbra
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