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lux umbra
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4 septembre 2006

Ce qu'ignoraient les anges ( D'aprés une légende arabe)- 2eme partie

            djinn_hs1

         

            Elle nous reçut dans une pièce remplie de fleurs de toutes espèces et couleurs. Un ruisseau alimentait un bassin derrière lequel se dressait la statue d’une femme nue, à l’image de l’impudeur des créatures de la terre. Elle nous fit servir des sucreries et des fruits bien plus succulents que ceux goûtés au marché. Des fumées odorantes montant de cassolettes embaumaient la salle.

            - Je sais que je ne reçois pas des hôtes ordinaires, nous dit-elle, car je suis grande prêtresse de la Déesse, et j’ai la prescience de certaines choses. Qui êtes-vous donc ? Des princes Djinns ? De puissants mages étrangers ?

            - La magie est impie, dis-je, et il n’existe pas de Déesse. Nous sommes des fils du Dieu unique. Toute vie est Son œuvre et Lui seul mérite un culte.

            Elle se contenta de sourire et secoua sa lourde chevelure dénouée. Le geste aurait dû nous paraître obscène, et pourtant il provoqua chez nous le même délicieux vertige.

            - L’amour et le désir, répondit-elle, ne sont-ils pas la source de toute vie, et par conséquent n’est-ce pas par eux que l’on rejoint la divinité ? Et ne sont-ce pas eux qui vous ont menés ici ? Car vous me désirez, n’est-ce pas ! Sinon jurez-moi par le Nom de votre Dieu que vous ne rêvez pas de me posséder !

            Nous fûmes obligés de le reconnaître :

- Nous ne pouvons, Al-Zuhara, te le jurer par le Saint Nom de Dieu…

            - Je vous accorderai ce que vous désirez, dit-elle, car je suis prêtresse de la Vie et de l’amour. La Déesseishtar s’incarne en moi, et celui qui s’unit à moi s’unit à la Déesse. La seule chose qu’elle demande en échange est qu’on reconnaisse sa puissance. Jetez une pièce dans le tronc des offrandes, puis allez verser du baume sur sa statue. Alors je serai à vous

            - Cela est impossible ; tu nous demandes de renier Dieu en sacrifiant à une idole.

            Tristement nous nous levâmes et priment le chemin de la sortie. C’était un déchirement mais nous portions encore la loi divine en nos cœurs. Al-Zuhara nous poursuivit, elle avait perdu toute sa superbe et son expression était suppliante.

            - Je vous en prie, étrangers, ne me délaissez pas. Vous êtes les hommes les plus beaux et les plus nobles qui m’aient rendue visite. Votre présence me bouleverse. Revenez me voir et nous réussirons à nous entendre !

            Je la repoussais, en faisant mine d’être intraitable, même si ça me coûtait.

            - Convertis-toi à la vraie religion, et tu pourras choisir lequel de nous deux tu épouseras…

            Bien sûr nous n’avions jamais envisagé de l’épouser. Les jours suivants nous errions dans la ville, sans pouvoir chasser le souvenir de son visage ni de son corps. Nous passions et repassions devant son palais sans qu’elle ne se montre à nouveau. Ce fut une semaine plus tard que nous la revîmes.

            C’était une de ces nuits où la lune est invisible. Un chant s’éleva soudain près de la demeure de la belle, un chant aux inflexions tristes et graves, entonné alternativement par des cœurs d’hommes et de femmes, accompagné du son des cordes et des tambours. Encadrée par quatre esclaves porteurs de torches, elle parut sur la terrasse. Malgré l’obscurité elle nous avait vus et nous fit signe d’entrer. Nous fûmes introduits dans une nouvelle salle où brûlait un feu devant un autel. L’idole qui trônait là représentait une femme au visage farouche qui brandissait des armes. Le chant continuait. Il ressemblait par moments à un hymne guerrier, puis se changeait en mélopée funèbre. Al-Zuhara se prosterna devant la statue, puis se tourna vers nous.

            - La Déesse, nous dit-elle à voix basse, est à la fois lumière et obscurité, création et destruction. Elle donne la vie à tout chose et la reprend dans la mort où tout retourne à elle. On lui rend hommage dans l’amour, dans l’enfantement mais aussi dans la guerre et le sang versé. En donnant la mort, vous participerez à son coté sombre. Offrez-lui un humain en sacrifice, celui que vous trouverez le plus coupable et le moins digne de vivre ! Et je serai à vous.

            - Tu déraisonnes ! Seul Dieu donne et reprend la vie et l’homme n’a le droit de tuer qu’au nom de Sa Loi.

            Nous aurions massacré des centaines d’idolâtres en holocauste au Tout-Puissant, mais jamais nous n’aurions sacrifié un agneau à une de leurs images de pierre. Comment cette femme pouvait-elle être dans une telle confusion sur la légitimité de donner la mort ? Nous la quittâmes à nouveau, pendant qu’elle nous suppliait de rester, en pleurant et griffant son visage.

            - Vous êtes semi-divin, criait-elle, je vois une aura de lumière entourer vos personnes !

Pourrions nous l’oublier, malgré son égarement ?

Ce furent ses serviteurs qui vinrent nous chercher, un matin : elle souhaitait ardemment nous revoir. Nous aurions dû refuser, hélas ! Mais le désir nous avait pris dans ses filets…Nous fûmes conduits cette fois sur une haute terrasse de son palais, sur laquelle était aménagé un jardin. De grands arbres y poussaient, certains chargés de fruits et des fleurs parmi les plus belles et les plus rares de ce pays, répandant leurs parfums capiteux. Des oiseaux multicolores chantaient sur les branches,  des singes s’y balançaient. Nous avions l’impression d’être revenus au temps heureux d’Adam, au matin du monde. Et comme Eve, Al-Zuhara se baignait nue, dans un bassin orné de mosaïques vertes et bleues. A notre arrivée elle en sortit et présenta son corps sans voiles ni pudeur à nos yeux. Certes elle n’avait pas l’innocence première de la mère des humains ! Mais en voyant ses formes parfaites, nous ne savions plus si elles étaient un hymne à la beauté de la création divine ou une ruse de l’adversaire.

Ses servantes la séchèrent, la parfumèrent, lui passèrent sa robe de soie avant de se retirer. Nous étions seuls avec elle, assis sur des coussins. Entre elle et nous étaient posés une amphore d’albâtre et trois coupes finement ciselées. Elle les remplit de vin et nous les tendit.

- Je ne vous demanderais que de partager ce vin avec moi. Le raisin est issu de la terre, il est eau par son jus, la fermentation y fait descendre le feu ! Le vin donne la joie aux hommes, il abat les obstacles entre eux et fait tomber les faux-semblants, il nous rend plus vrai, c’est un don de la Déesse ! Buvez ce vin et je serai à vous….

- Mais la Loi de Dieu nous interdit les boissons fermentées…

Marût et moi nous regardâmes. Ce que nous gardions de notre nature d’ange nous permettait de nous comprendre sans parole. Ce qui était homme en nous estimait que boire du vin était un moindre péché, et nous brûlions de connaître cette femme. Devant le désir, la volonté humaine est bien peu de chose, nous le comprenions alors ! Mais ce ne fut qu’au moment de céder. Le vin était délicieux, issu des meilleures vignes, des herbes aromatiques y avaient macéré. Son sourire quand elle nous resservit nous empêcha de protester, et nos corps tout jeune n’avaient aucune habitude de l’alcool. Bientôt tout remord fut oublié, le monde paraissait si léger, comme si nous avions retrouvé nos ailes d’anges tout en restant de chair !

Dans les rires et les soupirs glissa la robe d’Al-Zuhara sur sa peau et glissèrent nos peaux sur la sienne…

Nos jeux durèrent tout le long de l’après-midi. Nous étions ivre autant de vin que de luxure lorsque mon frère me posa la main sur l’épaule en désignant un coin de la terrasse. Derrière un arbre, quelqu’un nous observait. Un jeune homme qui s’était glissé là, un esclave de la maison, ou un curieux qui escaladé les hauts murs ? En tout cas et il n’était pas question de laisser l’espion raconter ce qu’il avait vu. Etions nous si abrutis par l’alcool que le regard d’un mortel nous importait plus que Celui auquel nul ne peut échapper, et qui portait notre jugement ? Ou étais ce notre faiblesse d’homme qui nous le faisait oublier ? Il eut beau s’enfuir en se voyant découvert, en deux bonds nous étions sur l’intrus et pleins d’une colère attisée  par la boisson, nous le précipitâmes par-dessus la balustrade. Son corps alla se briser plus bas. Nous avions accompli le meurtre demandé des jours auparavant.

Et notre seul sentiment alors (J’ose penser que c’était encore un effet du vin) fut le soulagement. Celui qui espionnait ne parlerait pas. Et Al-Zuhara nous attira à nouveau à elle, sur son corps nu ou le soleil faisait des tâches.

- Je sais qui vous êtes, maintenant ! Bien plus puissants que les rois djinns ou les mages de l’Est…

Je ne me souviens plus de ce qu’il est arrivé ensuite. Mais notre réveil restera comme le plus sinistre crépuscule de nos vies humaines. Le ciel était encore clair mais la terrasse-jardin déjà dans l’ombre. Nous gisions sur les coussins de soie et de plumes maculés de vin, au milieu des coupes renversées. Al-Zhuhara n’était plus là. 

Mais quelqu’un d’autre se manifesta alors que nous revenions difficilement à la réalité: une forme humaine couronnée, irradiant comme mille soleils. Notre frère du ciel Jibril, messager du Très-Haut, se tenait devant nous. Maintenant dégrisés, nous nous précipitâmes pour cacher nos nudités, tandis qu’au Rayon Divin qu’il reflétait nous prenions conscience de toute l’horreur de nos actes.

Comment décrire le regard d’un ange, qui n’est que lumière ? Dans le sien se lisaient une immense douleur et une immense colère. Toute la ville crut entendre gronder le tonnerre quand il nous parla :

- Oui, c’est moi Jibril, quoi que cela aurait put être Malik, afin qu’il vous précipite dans l’enfer dont il est le gardien!

Nous pleurions amèrement.

- Que le Très Saint et très Miséricordieux nous pardonne nos péchés ! M’écriais-je en me jetant à ses pieds. Comme nous étions suffisants et dédaigneux lorsque nous méprisions les hommes ! Mais leur nature est vulnérable et le mal les entoure, leurs émotions et leurs désirs les mènent là où ils ne veulent aller ! Leurs cœurs sont si divisés, si torturés, qu’ils connaissent le bien et voudraient l’accomplir, mais à chaque pas ils chutent, et glissent vers ce qu’ils condamnent ! Nous sommes d’autant plus coupables que nous prétendions juger leurs attitudes et nous présenter comme des modèles. C’était facile dans les sphères célestes ! Quand nous avons partagé leur condition, il ne nous a pas fallu longtemps pour devenir ignobles !

- Vous n’avez pas commis que des péchés d’hommes, rugit encore Jibril. Vous souvenez vous ce qu’Al-Zuhara vous à soutiré avant que vous ne sombriez dans le sommeil ? Le Nom Ineffable qui lui a permis de s’élever dans les sphères célestes !

Nous étions trop accablés pour chercher encore à supplier. Nous n’attendions plus autre chose que l’ouverture de l’abîme de feu. La nuit était tombée, maintenant et Jibril nous désigna le ciel sombre. Une étoile inconnue s’y était allumée, particulièrement étincelante.

- Dans son orgueil cette créature a voulu se diviniser ! Sous la forme d’une étoile, elle sera jusqu’à la consommation des temps exilée entre la terre qu’elle a rejetée et le ciel qu’elle ne peut atteindre par ruse. Et pour avoir égaré des anges, elle guidera les hommes, dans les déserts et sur les mers. Pour avoir fait votre désespoir, elle sera symbole d’espérance.

Il retourna son visage vers nous.

- Dans le ciel nous avons été si terrifié de votre comportement, vous qui étiez parmi les plus dévoués d’entre nous! Nous avons compris que nous tous aurions pu chuter comme vous l’avez fait, et nous ne nous sentions plus capables de vous condamner, ni de condamner l’humanité. En vous envoyant sur la terre, Dieu nous a donné une leçon d’humilité, à nous qui nous croyions humbles. Aussi L’avons-nous tous supplié de vous pardonner.

Voila Son jugement : vous êtes déchus de votre condition d’anges. Vous vivrez comme des hommes et devrez regagner votre place parmi nous, par vos bonnes œuvres et votre exemple. Vous êtes tombés avec l’humanité, vous l’aiderez à se relever! Beni soit Le Très Miséricordieux !

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         

Marût et moi nous sommes installés dans la ville, pratiquant la prière et la charité. Dans notre maison nous accueillons les pèlerins et nourrissons les affamés. Avec notre science d’anges nous soignons les malades et apaisons les esprits angoissés.

soufiNos réminiscences du ciel nous permettent de donner l’espérance et de montrer la voie à celui qui cherche. Le souvenir de notre péché nous fait regarder celui qui chute comme un frère, et lui tendre la main pour le redresser.

Quand un jeune croyant impétueux, où un vieil aigri, vient faire le procès de ses semblables et veut leur châtiment, nous lui opposons notre sérénité. Il comprend, après s’être entretenu avec nous, qu’il n’est pas meilleur que les autres, et que la miséricorde de Dieu est à celui qui fait miséricorde.

            Car Dieu est plus savant ...

© HB 2007

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Commentaires
L
Je m'en inspire très souvent, enfin du moins j'essaye !! Magnifique leçon de sagesse et d'humilité pour ces 2 anges déchus. Merci encore et mille pensées amicales.
T
J’ai réussi à prendre un peu de temps pour te lire…J’aime toujours autant ton style ; ça me fait penser à des légendes. L'histoire est sympa aussi, bien plus vaste que la relation avec des religions ; ne jamais juger sans connaître…vaste sujet.
P
Une histoire pourtant ancienne, dont je donne ici ma version personnelle; certaiens petites phrases comme " Nous aurions massacré des centaines d’idolâtres en holocauste au Tout-Puissant, mais jamais nous n’aurions sacrifié un agneau à une de leurs images de pierre" ne sont évidement pas là par hasard!<br /> Mais les donneurs de leçon ne sont pas seulement ceux qui pronent la guerre sainte, nous avons tous tendence à nous considerer comme des justes et les autres comme des pécheurs!
B
Très belle histoire, avec ce style qui me plait tant. En espérant que quelques donneurs de leçons la liront et qu'ils lui trouvent un sens :)
lux umbra
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