Rencontre
(illustration de Caza)
Dés qu’il eut franchi la porte, il déboucha dans la lumière…Maintenant il marchait le long de cette côte, humant l’odeur des embruns… Il laissait derrière lui la terrible angoisse, le désespoir, le trou noir…trou noir aussi ses souvenirs, il ne pouvait se remémorer ce qu’il était arrivé l’instant d’avant. Juste la souffrance, la détresse…mais plus rien de précis.
La mer…depuis combien de temps ne l’avait- il pas vue ? Il grimaça en descendant la petite pente qui menait sur la plage. Certains mouvements lui faisaient mal. L’eau calme l’attirait…il défit ses vêtements et y entra. Sensation depuis si longtemps oubliée, la caresse douce et fraîche qui baignait son corps, exceptées quelques brûlures au niveau de ses plaies. Le soleil sur son visage. Le bien-être l’envahit, il fusionnait avec l’air, l’eau, l’astre du jour, comme un retour au bonheur océanique d’avant la naissance…il en sortit revigoré, se rhabilla. Non loin s’élevait une villa et il savait qu’on l’y attendait.
Une fille d’une grande beauté se tenait sur le porche, sa peau sombre tranchait sur sa robe blanche. D’épaisses boucles noires tombaient sur ses épaules, jusqu’au milieu de son dos. Sans doute une métisse de noir et d’indien, comme il en avait tant vu dans les bidonvilles des banlieues de la capitale. Mais elle n’était pas marquée par la misère, non ! Son allure était celle d’une princesse.
- Luis ! s’écria-t-elle, se précipitant dans ses bras.
Elle était douce et parfumée.
- Qui es-tu ? demanda Luis. Je sais que l’on se connaît…
- Tu me connais, Luis. On s’est beaucoup côtoyés, mais sans jamais nous rejoindre mais aujourd’hui nous sommes réunis.
- Oui, je me souviens de t’avoir aperçue…
Deux ans plus tôt, une opération dirigée contre une caserne avait mal tourné. Luis avait vu tomber plusieurs de ses camarades et avait du s’enfuir dans les rues de la vieille ville, poursuivi par les forces spéciales. Il se revoyait fendre la foule affolée des petites rues, à travers la chaleur et la misère, les cris, les coups de feu.
Soudain il s’était retrouvé face à elle.
Elle le contemplait, sereine, indifférente à l’agitation et il aurait voulu cesser sa course et l’enlacer…Puis il avait obliqué dans une petite traverse et réussi à semer ses poursuivants.
Quelques mois plus tard, il gisait, dévoré de fièvre, dans un village de jungle qui abritait les guérilleros. Moitié délirant, il grelottait. Sentant une présence, il avait fait l’effort d’ouvrir les yeux. Elle se tenait penchée sur lui, ses yeux sombres pleins d’amour. Elle posa la main sur son front et une profonde paix le gagna. Il s’endormit.
Il fut réveillé par une piqûre. Leur médecin les avait rejoints et lui posait une perfusion. Le mal était jugulé.
Aujourd’hui elle était prés de lui. Passant son bras autour de sa taille elle l’emmena à l’intérieur. La chambre était sombre, mais le soleil, à travers les stores, rayait le lit de lumière.
Lentement, il fit glisser les brettelles de la robe. Son corps était brun sous le vêtement blanc qui tomba au sol. Des tatouages en arabesques parcouraient la peau de tout son buste. Décoratifs ou rituels ?
Elle déshabilla l’homme et ses mains glissèrent sur son épiderme, lui arrachant un petit cri.
-Tu souffres encore ? Murmura-t-elle.
- Oui…mes côtes…
Un gros hématome noircissait son côté. La femme le toucha et il se dissout comme une tâche sous le savon.
- Tes poignets et tes chevilles sont marqués aussi, dit elle en le caressant à cet endroit.
Les traces de brûlures au fer rouge sur son avant bras disparurent sous les baisers, ainsi que les marques d’électrodes sur sa poitrine.
-Les indiens, dans la forêt, parlent de chamanes guérisseuses…Serais tu une d’entre elles ?
- Je suis cela et tellement plus encore !
- Pourquoi devrions nous nous rencontrer ?
- Le chemin de ton esprit devait te mener à moi.
En suivant les courbes tatouées sur le corps de la métisse, il repensait à ses cheminements, à ses souffrances et ses joies. Les lignes semblaient prendre leur source dans les replis du nombril noir, montaient jusqu'à ses seins qu’elles encerclaient puis retombaient en cascades vers le ventre. Alors elles entouraient d’un rayonnement sombre le mystère du sexe rasé, vers lequel elles disparaissaient.
Il eut l’idée étrange que ce réseau symbolisait son cheminement, de l’enfance protégée des beaux quartiers à la faculté, de la prise de conscience à l’engagement, puis à l’action armée, jusqu’au jour où il s’était retrouvé face au colonel Aranjuez…
Il leva les yeux vers elle. Elle lui souriait.
- Moi aussi je suis une rebelle, dit- elle. Personne ne peut m’asservir. Surtout celui qui croit m’utiliser.
Elle se redressa et l’enjamba.
- Maintenant je vais t’aimer. Laisse toi faire. Je serai à toi et tu seras à moi.
Elle s’emboîta sur lui, sa bouche descendant vers celle de l’homme. Les lourds cheveux noirs au délicat parfum tombèrent sur le visage du guérillero. Son sexe s’enfonçait dans un océan de douceur qui l’emportait loin, très loin…il s’abandonna…
-MERDE ! Cria Ortégua. Son cœur a lâché !
- Pas moyen de le réanimer ? Demanda le Colonel Aranjuez en tirant sur sa cigarette. Il était à bout, il allait nous donner ses contacts !
Le « docteur » Ortégua, grand spécialiste de la torture, souleva les paupières de Luis et posa ses doigts sur son cou à la recherche de pulsations…
- Non, je suis désolé mon colonel, il nous a définitivement échappé.
Aranjuez détacha la petite tête de mort d’argent épinglée sur son uniforme des forces spéciales, et la jeta rageusement.
- Mais je rêve ! Il sourit en plus ! Cette salope de mort nous a volé notre prisonnier !