Les poêmes de St Jean de La Croix...
…Ou le mystique emprunte les mots de l’amant, ou l’érotisme deviens métaphore de l’union à Dieu, ou l’âme est l’amante qui s’abandonne à l’aimé. Dans la nuit où se dissolvent les repaires, où nous ne nous pouvons plus nous appuyer sur nos sens, notre raison où notre imagination, se nouent les noces d’Eros et psyché, l’Ame et l’Amour, notre personne et l’Absolu, « L’amante en l’amant transformée » Quelque soit la lecture qu’on en fasse, un chef d’œuvre universel de la poésie…
La Nuit obscure
1. Par une nuit obscure,
enflammée d'un amour plein d'ardeur,
ô l'heureuse aventure,
j'allai sans être vue
hors de ma maison apaisée.
2. Dans l'obscur et très sûre,
par l'échelle secrète, déguisée,
ô l'heureuse aventure,
dans l'obscur, en cachette,
ma maison désormais apaisée.
3. Dans cette nuit heureuse,
en secret, car nul ne me voyait,
ni moi ne voyais rien,
sans autre lueur ni guide
sinon celle qui en mon cœur brûlait.
4. Celle-ci me guidait,
plus sûre que celle de midi
au lieu où m'attendait,
moi, je savais bien qui,
à un endroit où nul ne paraissait.
5. Ô nuit qui a conduit,
ô nuit plus aimable que l'aurore,
ô nuit qui a uni
l'ami avec l'aimée,
l'aimée en son ami transformée.
6. Contre mon sein fleuri
qui entier, pour lui seul, se gardait,
il resta endormi,
moi je le caressais
et l'éventail des cèdres l'éventait.
7. L'air venant du créneau,
quand mes doigts caressaient ses cheveux,
avec sa main légère
à mon cou me blessait
et tenait en suspens tous mes sens.
8. En paix je m'oubliai,
le visage penché sur l'ami.
Tout cessa, je cédai,
délaissant mon souci,
parmi les fleurs de lis oublié.
Jean de La Croix
Un autre poème, sur la rencontre de l'aimé dans la nuit de l'âme:
J’entrai sans savoir où j'étais,
Et je restai dans l’ignorance,
En y transcendant toute science.
Ah ! je ne savais où j’entrais,
Mais quand, en ce lieu, je me vis
Sans savoir où je me trouvais,
De grandes choses, je compris ;
Rien à dire d’un ressenti,
Car je restai en ignorance,
En y transcendant toute science.
II
Avec paix et béatitude
Arrivait la science parfaite,
Au profond de la solitude,
Entendue d’une voie directe ;
Elle était chose si secrète
Où je balbutiai d’impotence,
En y transcendant toute science.
III
Étant tellement enivré,
Tant absorbé et transporté,
Qu’en tous mes sens, je demeurai
De tout sentir déshérité ;
Tandis que l’esprit fut doté
D’un entendement sans audience,
En y transcendant toute science.
IV
Ainsi élevé pour de vrai,
Il est lui-même défaillant ;
Tout ce qu’autrefois il savait,
Semble du plus bas maintenant ;
Et sa science s’accroît d’autant,
Qu’il demeure dans l’ignorance,
En y transcendant toute science.
V
Montée aussi aventureuse !
À peine alors il comprenait
Ce qu’est la nuée ténébreuse
Qui durant la nuit l’éclairait ;
Aussi celui qui le savait
Reste toujours dans l’ignorance,
En y transcendant toute science.
VI
Et ce savoir ne se sachant
Possède en lui un tel pouvoir,
Que les arguments des savants
Le vaincre ne peut entrevoir ;
Il ne parvient pas leur savoir
À ne pas entendre en audience,
En y transcendant toute science.
VII
Et de telle haute excellence
Est ce suréminent savoir,
Qu’il n’est ni faculté, ni science,
Apte à le pouvoir concevoir ;
Qui osera s’en dépourvoir,
Par un non savoir de sapience,
Ira toujours en transcendance.
VIII
Et si vous le désirez ouïr,
Cette suréminente science
Advient en un soudain sentir
De Dieu par sa divine essence ;
Et c’est l’œuvre de sa clémence :
Habiter ainsi sans audience
En y transcendant toute science.
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